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Fendant de la cave St-Clément




J’étais le premier, le number one !

Je le suis toujours d’ailleurs.

Des blancs c’est moi le roi.

 

Quoi qu’en disent les mauvaises langues, ces langues habiles en formules au goût aussi douteux qu’elles sont inaptes en qualités gustatives subtiles.

 

« Tu sais pourquoi le fendant ? parce qu’il est si acide qu’il fend les dents… »

 

Moi qui suis si sensible, moi à la peau si fine, aux grains si délicats qu’ils fendent sous les doigts.

 

« Tu sais pourquoi le chasselas ? parce que plus personne en terre vaudoise n’en voulait. Chasse-la ! Ça ira bien chez ces crétins de valaisans qui croient duper leur monde rien qu’en lui changeant de nom. »

 

N’empêche que ça a marché…

 

Et eux qui croient-ils tromper avec leur Dézaley, Yvorne et Mont-sur-Rolle ?

 

N’empêche que je sais bien que je n’ai plus le vent en poupe, qu’on cède aux carillons des effets de mode, qu’on se gausse aujourd’hui devant ces anciens cépages qu’à mon arrivée j’ai détrônés sans égard ni remord. C’était moi le plus fructueux, le plus rentable. On ne jura que par moi alors qu’aujourd’hui : « Goûte-moi ce muscat ! N’est-il pas formidable ? et ce païen ? remarquable… cette petite arvine ? adorable… cette amigne ? ah, si agréable… et cette malvoisie, ohlala cette malvoisie, délectable !»

Détestables, tous, piètres revenants sortis de leurs tombeaux ! Et moi, me voilà, relégué en vin de table pour ne pas dire vin de cuisine, tout juste bon à homogénéiser une fondue. Un roi dépouillé de ses titres de noblesse, voilà ce que je suis devenu, moi qui ai réjoui les palais des pharaons eux-mêmes, moi qui ai égayé les plateaux des plus fastueux palais d’Europe !

Peut-être qu’en vieille vigne je séduis encore un peu ces contemporains amateurs de nouveautés surannées.

Vieille vigne… quelle ironie, n’est-ce pas, pour le plus jeune cépage de ces terres arides. Mais quand mes vieux parents auront donné leur dernier jus, je sais bien qu’on préférera offrir aux sécateurs de plus séductrices variétés. Des cépages PIWI tiens, hein, pourquoi pas ?! Vous connaissez ?... Pour que l’histoire se répète…

Mais figurez-vous que je n’ai pas dit mon dernier mot. Le monde est vaste et ne s’arrête pas à la Berne fédérale. Fédérâle… Qu’elle se les garde ses frustes râles de barbu à arbalète. Je mérite mieux que ces parvenus sans culture, ces assoiffés d’apparences, ces polichinelles du compte en banque.

À l’heure de la mondialisation et du réchauffement climatique ce sont mes frontières qui s’étendent, c’est le monde qui m’appelle. Ici j’étais roi, là-bas je serai empereur. Depuis le temps qu’ils mangent des puddings et sirotent du thé noir, je vois déjà le tapis… rouge qu’ils me dérouleront, les caves qu’ils m’ouvriront. Merci à vous, raffinés péquenots, grâce à vous je prends mon bagage. Vous avez oublié d’où vous venez, moi je m’en souviens. Restez avec vos ancêtres, faites leur bien honneur, moi je vous fais mes hommages, je m’en vais, je pourfendrai bordeaux et bourgognes, j’irai jusqu’au bout des terres du nord et fendant l’écume, j’irai coloniser les bocages de ces royalistes mélancoliques dont les papilles carencées sauront – elles – apprécier ma noblesse naturelle.

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